sábado, 8 de agosto de 2020

As Bruxas de Ontem e as Bruxas de Sempre. (para ler em francês)

 

À visiter. Au Danemark, la chasse aux sorcières entre au musée
INFORMATION - Today at 14:00
Illustration de Alba Blazquez, Espagne.

Cet été, un nouveau musée a ouvert ses portes au Danemark. Il est consacré aux chasses aux sorcières dont l’Europe a été le théâtre aux XVIe et XVIIe siècles. Une histoire qui appartient moins au passé qu’on ne pourrait l’espérer.

Dans un bâtiment de la maison musée Quedens Gaard, à Ribe [dans le sud-ouest du Danemark], tout est en soudaine ébullition, à cause de quelques “têtes de diable” aux clous flambant neufs, identiques à celles qu’il y avait au XVIIe siècle, qui doivent être placées dans une marmite de sorcellerie. Un lot de balais de sorcières vient d’arriver et s’amoncelle dans un coin.

Dans cette vieille maison de commerce construite en 1583, un groupe d’artisans, de conservateurs, de chercheuses et d’assistants s’affairent. Le premier musée du Danemark consacré à la chasse aux sorcières était en préparation depuis plusieurs années. Le HEX !, Museum of Witch Hunt, ouvre enfin ses portes.

Un sujet de recherche longtemps jugé marginal

Un homme, en bleu de travail et à la chevelure blondie par le soleil, passe la tête par la porte de la cantine, où je viens d’arriver pour prendre rapidement un café. L’inspectrice en chef et directrice du musée, Lulu Anne Hansen, docteure en histoire, et les deux autres historiennes et chercheuses du musée, Maria Osterby Elleby et Louise Hauberg Lindgaard, lui adressent un sourire encourageant.

Tout se passe apparemment plus ou moins comme prévu et elles semblent satisfaites. Concevoir et réaliser le premier musée de la chasse aux sorcières du Danemark a été un projet intéressant, notamment sur le plan technique. Même s’il n’est peut-être pas considéré du même œil par les historiens plus traditionnels. La directrice Lulu Anne Hansen explique, tout en mangeant un sandwich : “Étudier les procès de sorcières n’a jamais été source de beaucoup de prestige. Pour les historiens, ce sujet de recherche était considéré comme un peu marginal. Si l’on veut devenir quelqu’un, il faut faire de l’histoire politique, économique ou sociale. Les procès en sorcellerie, cela ne fait pas sérieux. Heureusement, cela commence a changé. Depuis les années 1990 surtout, le sujet intéresse de plus en plus.”

Pas sérieux ? Le phénomène a causé la mort sur le bûcher d’au moins 40 000 personnes en Europe [entre 1 500 et 1 700]. Lulu Anne Hansen reprend :

Il y a manifestement eu une peur d’aborder le sujet, les recherches dans ce domaine n’étant pas très gaies. Et puis, toute la superstition et la magie associées à cette recherche sont dissuasives. Beaucoup préfèrent s’abstenir.

La peur, fil rouge de l’exposition

Aussi a-t-il été important pour le nouveau musée de ne pas uniquement se baser sur les dernières recherches consacrées aux procès des sorcières, mais de disposer de ses propres chercheuses – comme Maria Osterby Elleby et Louise Hauberg Lindgaard – qui sont rattachées au musée et racontent cette histoire en se basant sur les procès danois, tout en les plaçant dans une perspective européenne plus large. “Nous n’examinerons pas seulement une série de procès sous leur aspect matériel. Nous essaierons aussi de les expliquer. Leur origine, les idées et pensées qui ont abouti aux procès. Les acteurs, leurs motivations et leurs résultats.”

Lulu Anne Hansen ajoute : “La peur est le fil rouge de l’exposition, et il nous paraît important qu’on comprenne que cette peur n’est pas un chapitre complètement clos. On peut penser que les procès en sorcellerie se sont déroulés dans une obscure période médiévale, où la population était extrêmement superstitieuse et irrationnelle, et que nous avons évolué depuis. Mais ce n’est pas vrai [d’autant que les chasses aux sorcières ont surtout au lieu à la Renaissance, plutôt qu’au Moyen Âge tardif]. Nous tenons à montrer que ce qui était logique – rationnel, pourrait-on dire – à l’époque, c’était de dénoncer les sorcières qu’on soupçonnait de recourir à la magie. Ceux que l’on considère aujourd’hui coupables de ces procès, c’est-à-dire ceux qui dénonçaient les sorcières, étaient alors considérés comme des victimes, car ils avaient été la proie de sortilèges. Sur le plan historique, il est très intéressant de constater que ce qui semble raisonnable à un moment donné de l’histoire ne l’est pas toujours par la suite. Et inversement.

Vouloir contrôler ce qui ne peut pas être contrôlé

L’historienne et chercheuse Maria Osterby Elleby poursuit : “La peur générée par les procès en sorcellerie n’est pas une peur exceptionnelle, que nous pourrions rattacher à une période unique de l’histoire. Il suffit de voir la crainte et les réactions provoquées par le Covid-19. Les gens qui se pointent du doigt et s’agressent – regardez la série d’attaques discriminatoires qu’on a vues dans le monde entier contre des gens d’origine asiatique dans le contexte du virus. Il n’y a rien de sensé, ni a fortiori de scientifique, dans cette réaction. Mais ce type de comportement relève des mêmes mécanismes psychologiques que ceux qui ont conduit aux procès en sorcellerie. C’est une manière d’essayer de contrôler ce qui ne peut pas vraiment être contrôlé – en reportant la faute sur d’autres.”

La grande peur qui a régné durant les procès en sorcellerie a surtout pris de l’ampleur après la publication en 1617 par Christian IV [alors roi du Danemark et de Norvège] de son célèbre règlement interdisant les sorciers et les sorcières et toute pratique de la magie quotidienne qui était en ce temps-là tout à fait courante – et inoffensive. Il a également ordonné de persécuter les sorcières, sous peine d’être considéré comme complice et d’être condamné à des amendes et au bannissement.

Sorcières préparant une potion. Cette gravure sur bois illustrait un traité sur les sorcières et les devineresses publié par l’érudit Ulrich Molitor à la fin du XVe siècle. Photo Collection Kharbine-Tapabor.
Sorcières préparant une potion. Cette gravure sur bois illustrait un traité sur les sorcières et les devineresses publié par l’érudit Ulrich Molitor à la fin du XVe siècle. Photo Collection Kharbine-Tapabor.

Les sinistres “doigts du serment”

Louise Hauberg Lingaard montre différents artefacts et objets que les citoyens ordinaires utilisaient, avant l’interdiction de toute sorcellerie, pour pratiquer une forme de magie ancrée dans la superstition de l’époque. Presque tout le monde utilisait des amulettes. Même Christian IV en avait une, qu’il utilisait dans le plus grand secret et dont le musée présente une copie. Les gens décoraient également leur maison de talismans susceptibles de protéger contre le mal.

La baratte, en particulier, était source de nombreuses discussions sur la sorcellerie. En effet, baratter le beurre était un processus relativement difficile. De nombreuses rumeurs prétendaient qu’une sorcière pouvait, par la magie, empêcher le beurre de prendre. De même qu’elle pouvait maudire les tonneaux de bière et porter malheur à la bière d’un brasseur. Mais, tout comme celui qui faisait le beurre pouvait se protéger en mettant des oursins fossiles dans la baratte, le brasseur pouvait aussi avoir recours à quelques astuces. On pensait en effet que si on prélevait deux doigts (en l’occurrence les “doigts du serment”, à savoir l’index et le majeur) d’un cadavre et qu’on les plongeait dans la bière du tonneau, la bière serait bonne.

Et où trouvait-on ces doigts du serment ? D’après Maria Osterby Elleby, on allait généralement les chercher sur la colline du gibet local où, au plus fort des ténèbres, on coupait deux doigts à un voleur pendu.

Superstitions d’hier et d’aujourd’hui

Ce sont des histoires assez incroyables sur la superstition de la Renaissance que ces férues de sorcellerie – et donc le musée – ont dans leur sac, et il m’arrive de me montrer un peu choquée de temps à autre, en passant devant de petites poupées de cire piquées d’aiguilles, des mains de singe conservées ou bien devant la reconstruction d’une main de mort, qui mérite en tout cas la palme de l’expression la plus bizarre de la superstition. La main de mort était une main entière, séchée et marinée, provenant d’un malfaiteur exécuté, probablement récupérée de la même manière que les doigts du serment. Chaque doigt de cette main était pourvu de mèches imbibées de graisse fondue – provenant de préférence du même malfaiteur ou d’un nourrisson. On allumait ensuite la main du mort, telle un chandelier à cinq branches. Si l’on éclairait avec une telle main de mort, on devenait invisible et capable d’endormir tout le monde. C’est – quasiment – certain et avéré.

Louise Hauberg Lindgaard sourit à cette évocation mais souligne qu’on a beau se moquer des superstitions d’autrefois, le fait est qu’elles font partie d’un chapitre qui est loin d’être clos. “On ne réfléchit peut-être pas à la superstition qui nous entoure aujourd’hui. Pourtant, quand nous disons ‘à vos souhaits’ lorsque quelqu’un éternue, quand nous croisons les doigts pour porter chance, cela relève bien de la superstition. Ou encore quand nous touchons du bois, quand nous faisons un vœu en voyant une étoile filante ou jetons une pièce de monnaie dans un puits.

Et soudain la magie fut associée au diable

La question est alors de savoir comment le culte de la superstition et de la magie, autrefois pratiqué très couramment, a soudain pu conduire au meurtre de milliers d’individus. Maria Osterby Elleby raconte : “La particularité de cette période des procès de sorcières, c’est-à-dire, pour le Danemark, essentiellement le XVIIe siècle, c’est que la magie a soudain été associée au diable. C’est devenu une question religieuse. Désormais, selon l’interprétation théologique et, en particulier, protestante du monde, dont Christian IV, surtout, était un adepte, on pensait que toute magie et superstition venaient du diable. Il était possible qu’une femme disposât de pouvoirs particuliers, mais ils n’émanaient pas d’elle. Non, tout venait de Dieu et du diable. Et comme la magie malfaisante provenait de la même source que la magie guérisseuse ou bienfaisante, toute magie ou superstition traduisait une coopération avec le diable. La magie guérisseuse était désormais considérée comme une sorte de drogue introduisant à la magie noire.”

Maria Osterby Elleby poursuit :

Le raisonnement était celui-ci : il se peut, femme intelligente, que tu penses guérir uniquement un bras malade mais, d’ici peu, tu seras en train de faire cuire des bébés à minuit.

Louise Hauberg Lindgaard continue sans ciller : “Les théologiens les plus réputés de l’époque pensaient aussi qu’une grande partie des malheurs qui frappaient l’Europe en ce temps-là était le signe que le jour du jugement dernier était proche. La Renaissance a été une période difficile. Elle se situe en plein dans ce qu’on appelle la petite ère glaciaire : il faisait terriblement froid, il y avait la guerre et la peste. Tout le monde avait donc vraiment des raisons d’être préoccupé et d’avoir peur. Et quand le jour du jugement dernier approche, eh bien le diable commence à recruter de manière plus active. Sur le plan théologique, on risquait de donner son âme au diable si l’on ne dénonçait pas ceux qui étaient soupçonnés de sorcellerie. Surtout si l’on était un roi, responsable de tout le royaume. Et Christian IV considérait, paraît-il, qu’il était de sa responsabilité et de son devoir de protestant de dénoncer les sorcières et de les condamner au bûcher.”

Maren Spliids, plus célèbre sorcière danoise

Maria Osterby Elleby m’emmène dans la dernière salle d’exposition du musée qui est bien entendu consacrée à la sorcière la plus célèbre de Ribe, et du Danemark, Maren Spliids. C’est justement à cause du chasseur de sorcières acharné qu’était Christian IV que Maren Spliids a fini dans les flammes. Née vers 1600 et morte en 1641, elle avait en effet été acquittée à deux reprises par les instances judiciaires locales, avant que le plaignant, le tailleur du coin, par ailleurs concurrent du mari de Maren [un scénario répandu : on accusait de sorcellerie ceux dont les intérêts contredisaient les siens], n’aille trouver Christian IV. Le roi n’a pas tardé à enfermer Maren Spliids dans le donjon du château et à la faire torturer un peu, même si c’était contraire à sa propre loi : la torture n’était autorisée que lorsque l’arrêt de mort final de la sorcière avait été prononcé, pas avant.

Mais le roi a anticipé les plaisirs – et le pouvoir absolu, qui devait être instauré peu de temps après – et a décidé d’être le seul à juger de l’affaire. C’est bien dommage, il faut le dire, car Maren Spliids n’avait pas du tout vocation à être accusée de sorcellerie. Bien au contraire. Lorsqu’on se trouve dans la salle Maren Spliids du musée de la chasse aux sorcières, on peut voir, entre autres, le linteau qui surmontait la porte principale des Spliids. Comme il porte plusieurs inscriptions dévotes, je m’étonne qu’une femme comme Maren Spliids ait pu être accusée de sorcellerie.

Non sans ironie, Maria Osterby Elleby raconte que Maren Spliids est extrêmement atypique par rapport aux femmes et aux hommes (ces derniers représentaient en Europe 20 à 25 % des condamnés) accusés de sorcellerie. Elle se situait en haut de l’échelle sociale, elle était mariée et bonne chrétienne, allant souvent à l’église. Et elle n’avait pas de marmite de sorcière, contrairement à la plupart des femmes accusées de sorcellerie. Maren respectait les règles sociales. En général, celles qui étaient accusées ne le faisaient pas et étaient un peu marginales : des célibataires, des indigentes, des personnes âgées ou des femmes qui faisaient du tapage.

Mais Maren n’avait en aucun cas le profil typique d’une sorcière. C’est peut-être pour cette raison que l’affaire a fait autant de bruit à l’époque. Il ne fait pas de doute que la mort de Maren Spliids sur le bûcher en 1641 a encore plus attisé la peur qui resurgissait partout. Car si Maren Spliids – contre tout bon sens – avait pu être accusée et brûlée vive pour sorcellerie, qui ne le pouvait pas ?

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Le site du musée HEX !, Museum of Witch Hunt est à cette adresse